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NOTE CONFIDENTIELLE

DE : AGENT J. LUCAS, FBI/SIS

À : DIRECTEUR DU FBI J. EDGAR HOOVER

9 AOUT 1942

La mission que vous m’avez confiée consistait à observer et à déterminer la « vraie nature » de Mr. Ernest Miller Hemingway, citoyen américain âgé de 43 ans. La présente note a pour but de résumer l’état actuel de mes observations relatives au sujet.

Ernest Hemingway n’est pas, selon l’opinion du soussigné, un agent, volontaire ou non, d’un groupe, d’une puissance ou d’un service dépendant d’une organisation étrangère. Il s’agit cependant d’un homme menant la vie d’un agent en mission clandestine – une de ces taupes acharnées, tourmentées, paranoïaques et obstinées que redoutent tous les professionnels du contre-espionnage. Pourquoi a-t-il renoncé à son identité de chair afin de vivre dans la coquille d’un personnage de sa propre création, voilà qui est difficile à comprendre.

Ernest Hemingway est un homme dépendant des mots et des idées. Alors que, dans sa vie comme dans ses écrits, Hemingway glorifie l’action, il lui arrive souvent de confondre l’action avec l’impulsion, la réalité avec un mélodrame qu’il s’inflige à lui-même. Homme viril par excellence, Hemingway se fait aisément des amis et se les aliène tout aussi aisément. Il assume le commandement, aux deux sens du verbe « assumer », et dirige ses semblables aussi naturellement qu’un membre de la noblesse. En tant que proche, il est à la fois loyal et trompeur. Dans la vie de tous les jours, il entrecoupe des actes d’une grande générosité par des intervalles de méchanceté irrépressible. En l’espace d’une seule journée, il peut faire montre d’une compassion et d’une empathie extraordinaires, puis commettre des actes témoignant d’un égoïsme foncier. En tant que confident, il est souvent digne de confiance, mais jamais sur le long terme. En tant que capitaine de bateau, il combine le talent et la sûreté d’instinct. Pour ce qui est du maniement des armes, il est prudent mais manque souvent de maturité. En tant que père de famille, il est profondément aimant et fréquemment inconscient. En tant qu’écrivain… mais je n’ai aucune idée concernant la valeur littéraire d’Ernest Hemingway.

Je peux affirmer sans crainte que Mr. Hemingway est l’homme le plus passionné de lecture qu’il m’ait jamais été donné de fréquenter. Il lit des journaux durant la matinée, des romans quand il est aux toilettes, des magazines tels que le New Yorker et Harper’s quand il boit un verre au bord de sa piscine, des livres d’Histoire pendant le déjeuner, des romans sur le pont de son bateau quand c’est un autre qui tient la barre, des journaux étrangers quand il boit un verre au Floridita, des lettres quand il fait une pause entre deux épreuves d’un concours de tir, des recueils de nouvelles quand il attend qu’un poisson morde à l’hameçon quelque part sur le Gulf Stream, et le manuscrit du livre de sa femme, à la lueur d’une lampe de poche, pendant que son bateau mouille près d’un key inconnu au large de Cuba, lors d’une patrouille en quête de sous-marins. Hemingway est extrêmement sensible à la mémoire et aux nuances. Il est tout aussi sensible aux louanges et aux insultes. On pourrait croire que de telles tendances l’auraient conduit à devenir un universitaire ou un prisonnier dans sa propre tour d’ivoire. Mais ce que nous avons devant nous, c’est le personnage qu’Hemingway a construit pour notre bénéfice : le bagarreur au torse velu, le chasseur de fauves, l’aventurier grand buveur, le matamore sexuel.

Sur le plan physique, M. le Directeur, Hemingway est à la fois élégant et imposant, et cependant aussi maladroit qu’un éléphant dans un magasin de porcelaine. Bien que sa vision soit déficiente, il a réussi à devenir un tireur d’élite. Il se blesse constamment. Je l’ai vu se planter un hameçon dans le gras du pouce, casser une gaffe et se cribler la jambe d’échardes, claquer sur son pied la portière d’une voiture et se cogner le crâne sur un montant de porte. S’il a une religion, c’est celle de l’exercice physique ; il encourage tous ceux qui l’entourent à se livrer assidûment à diverses formes d’exercice, tous également violents – au point qu’il a ordonné à son officier de pont, un milliardaire nommé Guest, de courir plusieurs kilomètres par jour en compagnie de son épouse actuelle. Toutefois, au premier signe de rhume ou de mal de gorge, Hemingway est capable de garder le lit plusieurs heures, voire plusieurs jours d’affilée. Il a l’habitude de se lever tôt, mais il lui arrive souvent de faire la grasse matinée.

Je suppose que vous n’êtes pas boxeur, M. le Directeur – et que, si vous êtes jamais monté sur le ring, c’était en compagnie d’un sparring-partner du Bureau, qui aurait préféré se faire défoncer le crâne plutôt que de cogner pour de bon sur votre museau de bouledogue –, mais Ernest Hemingway est un boxeur accompli. La semaine dernière, alors qu’il buvait un verre au bord de sa piscine en compagnie de son ami le Dr Herrera Sotolongo, je l’ai entendu évoquer son œuvre au moyen d’une métaphore ayant trait à la boxe : « J’ai commencé en douceur, avec une victoire sur M. Tourgueniev. Après un entraînement intensif, j’ai envoyé M. de Maupassant au tapis, mais j’ai eu besoin pour cela de quatre de mes meilleures nouvelles. J’ai tenu deux rounds contre M. Stendhal, avec un léger avantage pour moi dans le second. Mais personne ne me fera monter sur le ring pour me mesurer avec M. Tolstoï, sauf si je deviens fou ou si je m’améliore. Mais ce n’est pas vrai, en fait, car mon but ultime est de mettre K.O. M. Shakespeare. Ce qui n’est pas une mince affaire. »

J’ignore tout de l’écriture, M. le Directeur, mais je sais que cette déclaration – veuillez excuser mon langage – n’est qu’un tissu de conneries.

Cependant il est, à mon sens, un autre incident relatif à la boxe qui décrit Mr. Ernest Hemingway bien mieux que ses vantardises.

Il y a quelque temps, alors que nous nous trouvions à bord de son bateau, il m’a raconté qu’à l’âge de seize ou dix-sept ans – il poursuivait sa scolarité au lycée d’Oak Park, dans l’Illinois –, il a lu dans un journal de Chicago une annonce proposant des cours de boxe. Comme il désirait ardemment apprendre à boxer, il a payé ses droits d’inscription. Ces cours étaient alléchants, m’a-t-il dit, car, parmi les instructeurs, on trouvait certains des meilleurs boxeurs du Midwest : Jack Blackburn, Harry Greb, Sammy Langford, et cetera. Ce qu’Hemingway ignorait, c’était qu’il était tombé sur une escroquerie vieille comme le monde : l’élève payait son inscription à l’avance, puis l’instructeur le mettait K.O. à la première leçon. En général, il ne revenait pas pour la seconde.

La première leçon d’Hemingway s’est déroulée comme prévu : il a été sonné par un pro du coin nommé Young A’Hearn. (J’ai eu l’occasion d’affronter Young A’Hearn, M. le Directeur, mais c’était alors un bourrin de quarante-cinq ans, abruti par les coups, qui gagnait chichement sa vie en jouant au sparring-partner dans les clubs.) Quoi qu’il en soit, Hemingway a surpris ces escrocs du ring en revenant le samedi suivant pour sa deuxième leçon. Cette fois-ci, l’« instructeur » – un dénommé Morty Hellnick – a mis fin à la séance en décochant à Hemingway un coup de poing dans l’estomac juste après le gong. Le jeune Hemingway en a vomi pendant huit jours. Lors de la leçon suivante, Hellnick l’a délibérément frappé au-dessous de la ceinture. « Ma couille gauche a enflé jusqu’à devenir presque aussi grosse que mon poing », m’a confié l’écrivain. Mais il est revenu le samedi suivant.

Là où je veux en venir, M. le Directeur, c’est que ce gamin est arrivé au bout de ses leçons en dépit de tout ce qu’on lui a infligé. Peut-être est-il le seul « élève » à avoir accompli la totalité de son cursus. Jamais il ne s’est laissé abattre.

Je ne sais pas exactement qui est ni ce qu’est Ernest Hemingway, M. le Directeur, ni pourquoi vous m’avez envoyé ici afin que je l’espionne, le trahisse – et peut-être le tue –, mais je me dois de vous prévenir que cet homme ne renonce pas facilement. Quel que soit le rôle que vous comptez lui faire jouer, sachez qu’il est têtu, que c’est un dur, qu’il sait encaisser les coups et qu’il est extraordinairement buté.

Ainsi se concluent pour le moment mes observations et mon analyse.

 

Assis devant la machine à écrire dans le cottage de la finca, je relus la note que j’avais préparée pour Hoover. Je n’avais pas l’intention de la lui envoyer, bien entendu, et peut-être ne l’aurais-je pas rédigée si je n’avais pas passé la majeure partie de la nuit à écluser du whiskey et à ruminer de sombres pensées, mais je retirai un certain plaisir à relire mes propres mots à la lumière du jour – en particulier le passage sur l’hypothétique sparring-partner du directeur qui aurait préféré se faire défoncer le crâne plutôt que de cogner pour de bon sur son museau de bouledogue. Avant de mettre le feu à ces quelques feuillets et de les jeter dans l’énorme cendrier dont je disposais, je me demandai si cette sensation de liberté n’était pas celle qu’éprouvait Hemingway quand il écrivait, inventant des mensonges plutôt que de s’en tenir aux faits. Probablement pas – rien de ce que j’avais écrit n’était fabriqué.

Je glissai mon véritable rapport dans une enveloppe, passai mon .38 à la ceinture de mon pantalon, sous ma veste ample, et gagnai la maison avant de partir retrouver Delgado à La Havane.

Nous avions droit à un dimanche splendide après la pluie et la grisaille de la veille – il faisait doux, le ciel était bleu, les alizés soufflaient avec régularité. Les palmiers frémissaient lorsque je longeai le bord de la piscine. En bas de la colline montaient les cris des Étoiles de Gigi, qui affrontaient l’autre équipe de baseball, baptisée Los Muchachos. L’un des muchachos manquait à l’appel, mais personne n’avait demandé des nouvelles de Santiago. Un autre garçon l’avait remplacé, et le tournoi avait repris.

 

Nous avions enterré le garçon la veille, le jour même où nous l’avions retrouvé, enfouissant son cercueil en bois de pin mal dégrossi dans un coin reculé du cimetière des indigents, entre le vieux viaduc et les cheminées de la Compagnie d’électricité de La Havane. Hemingway et moi étions les seules personnes présentes, exception faite du vieux fossoyeur tout ridé auquel nous avions graissé la patte pour qu’il vole un cercueil à la morgue et nous trouve une sépulture. Même Octavio, l’ami noir de Santiago qui avait trouvé son cadavre, n’avait pas assisté à cette cérémonie improvisée.

Une fois que le fossoyeur, Hemingway et moi avons placé le petit cercueil dans le trou bourbeux, s’est installé un silence plein de gêne. Le vieil homme a reculé d’un pas et a ôté son chapeau. La pluie dégoulinait sur son crâne chauve et son cou ridé. Hemingway était coiffé d’un vieux chapeau de pêcheur – il ne daigna pas l’enlever – et la pluie gouttait de ses bords. Il se tourna vers moi. Je n’avais rien à dire.

L’écrivain s’avança jusqu’au bord de la tombe. « Ce garçon ne devait pas mourir, murmura-t-il d’une voix à peine audible dans le bruit de la pluie sur le feuillage. Il n’aurait pas dû mourir. » Il me regarda. « Si j’ai laissé Santiago se joindre à… » Il se tourna vers le fossoyeur, dont les yeux chassieux étaient rivés au sol boueux. « Si j’ai laissé Santiago se joindre à notre équipe, reprit-il, c’est parce que chaque fois que j’allais au Floridita avant de me rendre à l’ambassade, une nuée de gamins entourait ma voiture ; ils me suppliaient de leur donner un peu d’argent ou de les laisser cirer mes chaussures, ou me faisaient savoir qu’ils avaient une sœur à me présenter. C’étaient des gosses des rues, des mendiants, des misérables. Leurs parents les avaient abandonnés, ou avaient été emportés par la tuberculose ou l’alcool. Le petit Santiago faisait partie du lot, mais jamais il ne tendait sa paume vers moi, jamais il ne proposait de me cirer les pompes. Il ne disait rien. Il se tenait en retrait jusqu’à ce que je redémarre, et alors – pendant que les autres gosses s’éloignaient pour retourner mendier au coin de la rue – Santiago se mettait à trottiner près de la Lincoln, sans jamais se fatiguer, sans jamais me demander quoi que ce soit, sans jamais me regarder. Il ne me lâchait que lorsque j’arrivais devant l’ambassade ou que je regagnais la route nationale. »

Hemingway marqua une courte pause et contempla les cheminées fumantes de la Compagnie d’électricité. « Je déteste ces saletés de cheminées, dit-il du même ton qu’il avait utilisé pour prononcer l’éloge funèbre, si c’en était bien un. À cause d’elles, toute la ville empeste quand le vent souffle au-dessus des montagnes. » Il se tourna de nouveau vers la tombe.

« Repose en paix, jeune Santiago Lopez. Nous ne savons ni d’où tu venais ni où tu es parti. Mais nous savons que tu es là où vont tous les hommes, et que nous t’y suivrons un de ces jours. »

Hemingway me jeta un nouveau regard, comme gêné par ses propres paroles. Puis il reprit d’une voix ferme, les yeux à nouveau fixés sur la tombe : « Il y a quelques mois, Santiago, l’un de mes fils, John, mon Bumby, m’a posé des questions sur la mort. Il n’avait pas peur de partir à la guerre, m’a-t-il dit, mais il avait peur de craindre la mort. J’ai raconté à Bumby ce qui m’était arrivé en 1918, quand j’avais été blessé, la peur qui m’habitait alors – il me fallait une lampe de chevet pour m’endormir, tellement je craignais de mourir subitement –, mais je lui ai aussi parlé de mon ami Chink Smith, un type courageux qui, un jour, m’a cité Shakespeare. Cette citation m’a tellement plu que je lui ai demandé de la coucher par écrit. Elle vient de Henry IV, deuxième partie, et je l’ai apprise par cœur pour ne plus jamais l’oublier, la porter sur moi telle une invisible médaille de saint Christophe.

« “Par mon sang, peu me chaut ; un homme ne meurt qu’une fois ; nous devons une mort à Dieu… et quels que soient les caprices du destin, celui qui meurt cette année est quitte pour la prochaine.” »

« Tu es quitte pour la prochaine, Santiago Lopez. Et tu étais un homme courageux, quel que soit l’âge que tu avais quand tu as payé ta dette à Dieu. »

Hemingway recula. Le vieux fossoyeur s’éclaircit la gorge. « Non, señor, dit-il en espagnol. Nous devons entendre des mots de la Bible avant de recouvrir cet enfant de terre.

— C’est obligatoire ? demanda Hemingway, un peu amusé. Le señor Shakespeare ne suffit pas ?

— Non, señor. La Bible est nécessaire. »

Hemingway haussa les épaules. « Si c’est necesario… » Il ramassa une poignée de terre… de boue… et la tint au-dessus du tombeau de l’enfant.

« Extrait de l’Ecclésiaste : “Une génération s’en va, une autre vient, et la terre subsiste toujours… Le soleil se lève aussi et le soleil se couche, il aspire à ce lieu d’où il se lève.” » Il laissa choir le paquet de boue sur le petit cercueil, recula et se tourna vers le vieil homme, qui s’appuyait sur sa pelle. « Est-ce convenable à présent ?

— Si señor. »

 

Alors que nous regagnions la finca dans la pénombre d’un soir pluvieux, Hemingway me demanda : « Donnez-moi une bonne raison pour ne pas traquer le lieutenant Maldonado.

— Ce n’est peut-être pas lui qui a fait le coup. » Hemingway me lança un regard noir. « Qui d’autre aurait pu faire ça ? Vous m’avez dit la semaine dernière que l’agent 22 suivait Caballo Loco.

— Ne l’appelez pas comme ça.

— Caballo Loco ?

— L’agent 22.

— C’est forcément Maldonado, non ? »

J’arrachai mon regard du pare-brise strié de pluie. « J’avais dit à Santiago de ne pas le suivre… de ne suivre personne… pendant notre absence. Je ne pense pas qu’il aurait désobéi à mes ordres.

— Il devait bien surveiller quelqu’un », insista Hemingway.

Je secouai la tête. « La piste où Octavio l’a retrouvé débouche sur les taudis où il habitait du vivant de sa mère. D’après le jeune Noir, Santiago allait parfois y dormir quand la ville était trop agitée à son goût. »

Hemingway roula plusieurs minutes en silence. « Lucas, dit-il finalement, qui d’autre aurait pu tuer ce gamin ?

— Je vous le dirai plus tard.

— Dites-le-moi tout de suite ou il n’y aura pas de plus tard. Dites-moi qui vous êtes, pour qui vous travaillez et qui a pu tuer ce gosse à votre avis, ou alors descendez de cette voiture et ne revenez pas à la finca. »

J’hésitai. Si je répondais aux questions que venait de me poser l’écrivain, je cesserais de travailler pour le FBI et le SIS. Les essuie-glaces balayaient le pare-brise. Le bruit de la pluie sur la capote me rappelait celui qu’elle faisait sur le petit cercueil. Je me rendis compte que je ne travaillais plus ni pour le FBI ni pour le SIS.

« Je travaillais pour le FBI, déclarai-je. J. Edgar Hoover m’a envoyé ici pour vous espionner et lui transmettre des rapports par l’intermédiaire d’un agent de liaison. »

Hemingway se rangea sur le bas-côté de la route. Les camions passaient en nous éclaboussant. Il se tourna vers moi pour me regarder pendant que je poursuivais.

Je lui parlai de Delgado. Je lui dis la vérité sur Teddy Schlegel, Inga Arvad, Helga Sonneman et Johann Siegfried Becker. Je lui racontai comment le FBI et l’Abwehr graissaient la patte au lieutenant Maldonado et à son supérieur, Juanito le Témoin de Jéhovah. Je lui parlai de mes contacts avec le commandant Ian Fleming, de la ESC, lors de mon voyage en avion, puis avec Wallace Beta Phillips, de l’OSS, après mon arrivée. Je lui appris qu’on lui avait tiré dessus lorsqu’il avait donné l’assaut à la maison Steinhart et que j’avais intercepté une seconde transmission lors de notre expédition vers les grottes à touristes.

« Que disait cette seconde transmission ? demanda Hemingway d’une voix neutre.

— Je ne sais pas. Elle est dans un code que je n’ai jamais vu. Je pense que nous n’étions pas censés la déchiffrer.

— Est-ce que vous sous-entendez que nous étions censés intercepter et décoder la première transmission… à propos des deux agents qui doivent débarquer jeudi prochain ?

— Je le pense.

— Pourquoi ?

— Je n’en sais rien. »

Hemingway se tourna vers le pare-brise ruisselant. « Ils sont en train de nous encercler… le FBI, l’ONI, votre agence britannique… quel est son sigle, déjà ?

— La BSC. Oui, je le crois.

— L’OSS, poursuivit Hemingway. Les services secrets allemands…

— Les deux branches, je pense. L’Abwehr et la RSHA AMT VI.

— Je nage complètement. Je ne savais pas qu’il existait deux branches des services secrets allemands.

— Je sais. En fait, vous êtes complètement ignare en la matière. »

Il me lança un regard noir. « Parce que vous, vous y connaissez quelque chose ?

— Oui.

— Pourquoi me racontez-vous tout ceci maintenant ? Et pourquoi diable devrais-je croire un mot de ce que vous dites, puisque vous n’avez pas cessé de me mentir jusqu’à aujourd’hui ? »

Je ne répondis qu’à sa première question. « Si je vous raconte tout ceci, c’est parce qu’ils ont tué le gamin. Et parce qu’ils nous préparent quelque chose que je ne comprends pas.

— Qui a tué le gamin ?

— Il est possible que ce soit Maldonado. Si Santiago a été imprudent et si le lieutenant l’a repéré, Caballo Loco a pu attendre notre départ, suivre le garçon jusqu’à son taudis et lui couper la gorge.

— Qui d’autre ?

— Delgado.

— Un agent du FBI ? » La voix d’Hemingway était dédaigneuse. « Je croyais que les réformés dans votre genre ne tuaient que d’autres réformés.

— Delgado est… un cas particulier. S’il est bien celui auquel je pense, il a déjà tué. Et je ne suis plus sûr de savoir pour qui il travaille.

— Vous pensez qu’il est passé dans le camp des boches ?

— C’est possible. Les réseaux d’espionnage allemands sur le continent américain ne valent pas tripette, mais ils sont riches. Ils peuvent se payer un mercenaire comme Delgado.

— Qui d’autre aurait pu faire le coup, Lucas ? Qui d’autre aurait pu tuer un enfant ? »

Je haussai les épaules. « Schlegel, mais ce n’est pas son genre, je pense. Schlegel aurait pu acheter les services d’un Allemand ou d’un sympathisant nazi de La Havane. Helga Sonneman aurait pu s’en occuper…

— Helga ? »

Je lui donnai des détails péchés dans le dossier Sonneman. « Nom de Dieu, marmonna Hemingway. Est-ce que le monde entier connaît personnellement Hitler et ses potes ?

— C’est le cas de certains de vos invités.

— Hein ?

— Ingrid Bergman l’a rencontré. Vous vous rappelez ? Et les services secrets allemands ont proposé à Dietrich de travailler pour eux.

— Et elle leur a dit d’aller se faire foutre.

— C’est ce qu’elle prétend. »

Hemingway gronda comme un fauve. « Je ne vous aime pas, Lucas. Je ne vous aime vraiment pas. »

Je ne répondis rien.

Au bout d’un long silence – durant lequel la pluie cessa de tomber –, il reprit : « Donnez-moi une bonne raison pour que je ne vous fasse pas descendre de voiture à coups de pied au cul et ne vous tire pas dessus la prochaine fois que vous approcherez de la finca ou de mes enfants.

— Je vais vous en donner une. Il se mijote ici quelque chose de compliqué. Quelqu’un veut que vous interceptiez ces deux agents qui débarqueront le 13.

— Pourquoi ?

— Je l’ignore. Mais une partie complexe a commencé, et votre ridicule Usine à forbans y est utilisée comme un pion. Je pense que vous allez avoir besoin de mon aide.

— Comme ça, vous pourrez tout rapporter à J. Edgar Hoover, hein ?

— J’en ai fini avec ça, dis-je fermement. Je continuerai à transmettre des rapports au Bureau, mais ils ne contiendront rien d’important tant que nous n’aurons pas tiré cette affaire au clair.

— Et vous pensez que c’est dangereux ?

— Oui.

— Pour Gigi et Mouse, ou seulement pour vous et moi ? » J’hésitai. « Je pense que tous ceux qui vous entourent en ce moment sont en danger. »

Hemingway se frotta le menton. « Le FBI serait capable d’assassiner un citoyen américain et sa famille ? Ainsi que ses amis ?

— Je ne sais pas. Hoover préfère détruire les gens par les fuites, les insinuations, le chantage et le fisc. Mais nous ne sommes même pas sûrs que le danger vienne du Bureau. Les Britanniques sont impliqués dans cette histoire, ainsi que l’OSS et les deux branches des services secrets allemands.

— Estamos copados, dit Hemingway. Nous sommes cernés. » Je savais qu’il aimait bien cette phrase mais cette fois-ci, il était parfaitement sérieux.

« Oui », répondis-je.

Il ramena la Lincoln sur la route et nous reconduisit à la finca Vigia.

J’allai faire un tour dans la maison avant de me pointer à mon rendez-vous avec Delgado. Hemingway se trouvait dans la salle de séjour, assis sur son fauteuil à fleurs, près de la table basse croulant sous les verres et les bouteilles. Un gros chat noir était couché sur ses genoux, une dizaine d’autres étalés sur le tapis autour de lui. Je vis qu’il avait ouvert au moins une boîte de saumon et deux petites boîtes de sardines. Il tenait sur son genou un verre contenant apparemment du gin pur. À en juger par son regard fixe et son visage figé, il était complètement bourré.

« Ah, señor Lucas, dit-il. Vous ai-je présenté selon les règles à mes chers amis los gatos ?

— Non.

— Cette beauté noire s’appelle Boissy d’Anglas, dit-il en caressant le chat qui ronronnait sur ses cuisses. Vous connaissez déjà Sans-ami. Le petit, là, est appelé Frère-de-Sans-ami, bien que ce soit une femelle. Et voici Tester, et ce maigrichon est le chaton de Tester, un chat miraculeux. Le grassouillet couché au bord du tapis s’appelle Wolfer, et à côté de lui se trouve Bonne-Volonté, ainsi nommé en l’honneur de Nelson Rockefeller, l’ambassadeur de la bonne volonté américaine auprès de cette masse de pays aussi pauvres qu’ignorants situés au sud des grands et puissants Estados Unidos.

« Sans-ami a passé la matinée à boire du lait et du whiskey avec moi, Lucas, mais il a eu son content et ne peut vous faire son numéro pour le moment. Les chats ne font pas leur numéro pour n’importe qui, Lucas. Le saviez-vous ? Ils font ce qu’ils ont envie de faire, un point c’est tout, mais ils acceptent de boire du whiskey et du lait avec vous, à condition qu’ils vous aiment et qu’ils en aient envie. Oh ! celui-ci, c’est Dillinger, ainsi baptisé en l’honneur du regretté gangster à la grosse bite, bien entendu. Je pense que son nom lui a donné un complexe de supériorité, mais c’est fini à présent… Marty a fait castrer Dillinger et les autres mâles pendant que nous étions partis pour notre première patrouille. Le saviez-vous, señor Lucas, Lucas l’espion, Lucas l’informateur ? »

J’ai entendu votre querelle, répondis-je mentalement. Je vous ai entendus gueuler tous les deux. Je restai muet.

Hemingway se fendit d’un sourire. « La chienne. » Il caressa la nuque de Boissy. « Non, pas toi, bébé. Je lui ai envoyé un câble aujourd’hui, Lucas. À Marty. Comme je ne sais pas où elle se trouve, j’en ai envoyé des copies à Haïti, Porto-Rico, Saint-Thomas, Saint-Barth, Antigua, Bimini… bref à toutes les escales de sa putain de croisière. Vous voulez savoir ce que je lui ai dit ? »

J’attendis.

« Je lui ai dit : ES-TU UNE CORRESPONDANTE DE GUERRE OU L’ÉPOUSE QUI PARTAGE MON LIT ? »

Hemingway hocha la tête, comme satisfait de sa trouvaille, posa délicatement le chat noir sur le tapis et se leva pour se servir trois doigts de gin. « Voulez-vous un verre, agent spécial Joe Lucas ?

— Non.

— La chienne, la salope, poursuivit l’écrivain. Elle dit que l’opération Sans-ami n’est que foutaise. Que nous sommes tous des branleurs. Que je n’ai pas écrit une page digne d’être lue depuis que j’ai achevé Pour qui sonne le glas. Salope, je lui ai dit. On lira encore mes livres longtemps après que les asticots en auront fini avec toi, je lui ai dit. » Il se rassit, but une lampée d’alcool et me fixa. « Vous vouliez quelque chose, Lucas ?

— Je vais en ville. Je prends la voiture. »

Hemingway haussa les épaules. « Vous ne voulez vraiment rien boire ? »

Je fis non de la tête.

« Si vous ne voulez pas boire de gin avec moi, dit-il d’une voix enjouée, je pourrais me débrouiller pour vous trouver du thé glacé. Ou alors, vous pourriez remplir un seau de morve et sucer le pus à l’oreille d’un nègre crevé. » Il me fit un nouveau sourire et désigna la table couverte de bouteilles d’alcool, de seaux à glace et de verres.

« Non merci. » Je sortis de la salle de séjour, puis de la maison, traversai la terrasse et descendis l’allée jusqu’à la voiture.

 

Alors que je roulais vers la ville, m’efforçant de ne pas répéter mentalement la rencontre et, peut-être, l’affrontement qui m’attendaient, je pensais à Maria.

Je ne lui avais pas parlé de la mort du garçon, bien entendu, mais la veille au soir, sentant apparemment que quelque chose n’allait pas, elle s’était tenue tranquille et avait respecté mon désir de solitude. Lorsque j’avais tenté de m’endormir, elle s’était allongée sur son matelas, posant sa main sur le mien sans toutefois toucher mon corps, et m’avait contemplé tandis que je fixais le plafond. Quand je m’étais levé pour aller au cottage rédiger ma note bidon à J. Edgar Hoover, elle m’avait apporté mes sandales et ma chemise en toile sans dire un mot, en me regardant simplement de ses yeux tristes. L’espace d’un instant, je me suis imaginé dans la peau d’un être humain normal, qui partagerait ses souffrances avec une compagne, lui confierait l’angoisse qui lui dévorait le cœur. Par la suite, j’avais chassé cette idée de ma tête grâce au whiskey et à ma note au directeur, et je la chassai de nouveau quand j’arrivai en vue des cheminées de la Compagnie d’électricité de La Havane.

Le .38 était posé sur le siège à côté de moi. Il me faisait mal aux reins quand je conduisais. J’avais logé une cartouche supplémentaire dans sa chambre, que je préférais d’ordinaire laisser vide, et en avais glissé une demi-douzaine d’autres dans la poche de ma veste. Ce qui était sans doute stupide de ma part : si Delgado et moi devions régler nos comptes aujourd’hui, ce serait fait avant que j’aie besoin de recharger. D’un autre côté, mieux vaut emporter pour rien des munitions de rechange plutôt que… et cetera, et cetera.

Je garai la voiture dans La Habana Vieja et parcourus à pied les quelques centaines de mètres me séparant de la planque. J’arriverais précisément à l’heure prévue.

Wallace Beta Phillips avait parfaitement reconstitué le déroulement des événements survenus cette nuit-là à Veracruz, dans la calle Simon Bolivar. Les deux agents de l’Abwehr étaient arrivés avec quatre-vingt-dix minutes d’avance afin de me tendre une embuscade dans le salon. À ce moment-là, cela faisait presque deux heures que j’étais caché dans le placard du couloir. Phillips avait mentionné le témoignage d’un voisin, qui avait vu « un gamin jeter un caillou sur la porte » juste avant que retentissent les coups de feu. Ce n’était pas un gamin mais un nain âgé de cinquante-trois ans, un pilier de bar surnommé El Gigante, à qui j’avais offert cent cinquante pesos pour qu’il lance son caillou et prenne ses jambes à son cou.

Aujourd’hui, je n’arriverais pas en avance.

Le .38 était calé au creux de mes reins, mais vu la façon dont je le portais, Delgado ne remarquerait pas sa présence à moins de me fouiller. J’avais choisi une veste plutôt ample, et je m’étais plusieurs fois entraîné à dégainer et à tirer. Il s’agissait quand même d’un pis-aller, mais un étui passé à ma ceinture ou sous mon aisselle aurait été trop visible, tout comme si j’avais choisi de loger l’arme au-dessus de ma poche gauche, ainsi que j’en avais l’habitude. Je me surpris à regretter d’avoir apporté le .38 plutôt que le .357, qui m’aurait permis de tirer à travers la porte ou les murs de la vieille bâtisse, mais celui-ci était encore plus volumineux.

Si j’étais Delgado, et si je voulais éliminer toute menace posée par l’agent spécial Joe Lucas, où choisirais-je de l’attendre ? Sans doute à l’intérieur ou sur le seuil de l’une des nombreuses masures de cette rue étroite. Mais il était possible que l’agent spécial Lucas emprunte la rue en question, voire un autre chemin, pour gagner la planque. Dans la maison, alors, mais où ? Dans la petite annexe sans fenêtres. Couché par terre, peut-être, dans l’obscurité, après avoir pris soin de barricader la porte de derrière afin que personne ne puisse passer par là, et j’attendrais que la silhouette de Lucas se découpe sur le seuil. Ou peut-être qu’il fasse quelques pas dans la pièce, où seule la petite table pourrait le protéger, où le bruit des détonations serait étouffé par les murs, où les balles se logeraient dans ces murs. Puis je m’en irais et laisserais les rats s’occuper du cadavre.

La porte de la planque était légèrement entrouverte. Les fenêtres sans vitres étaient noires. Résistant à l’envie de vérifier que le .38 était bien en place, je montai sur le perron avachi et franchis le seuil.

Derrière la table, à sa place habituelle, Delgado leva les yeux. Il était assis à califourchon sur la chaise, son menton reposant sur sa main droite calée sur le dossier. Il était gaucher, comme je l’avais remarqué, mais sa main gauche était invisible. Cette fois-ci, il portait une ample guayabera plutôt que son complet blanc. Sa peau semblait plus hâlée, ses cheveux plus clairs que d’habitude.

Je posai l’enveloppe sur la table et restai debout, fixant ses yeux gris, glacials, tandis que sa main gauche apparaissait dans la pénombre.

Comme à son habitude, Delgado déchira l’enveloppe et lut le rapport qu’elle contenait. « Vous plaisantez », lança-t-il.

Je me tenais au repos, bien en équilibre sur mes deux jambes, ma main gauche dans la poche de mon pantalon, la droite pendant contre ma cuisse.

« Une grotte touristique ? reprit-il. Des gosses qui trouvent des canettes ? Des cochons qui se suicident sur des bancs de sable à éclipses ? C’est tout ?

— Adressez-vous à l’ONI. C’est eux qui nous ont envoyés là-bas. »

Reniflement de Delgado. « L’ONI. » Il jeta les deux feuillets sur la table. Sa main gauche disparut sous le rebord de celle-ci, tandis que ses yeux restaient rivés aux miens.

« Vous n’avez pas aperçu le Southern Cross au cours de votre promenade foireuse ?

— Non, répondis-je. Mais il a regagné le port de La Havane. Plus précisément les chantiers Casablanca.

— Et vous n’avez capté aucune transmission émanant du yacht, à destination de la terre ou d’un autre navire ? »

Je secouai la tête, jaugeant sa réaction avec attention. Delgado était vif quand il le voulait. S’il bougeait, je devrais tenter de l’atteindre au torse… il serait trop risqué de viser sa tête. Je ne savais pas où il avait caché son arme – celle-ci pouvait être attachée sous la table et pointée sur moi, auquel cas j’étais foutu –, mais abstraction faite de ce détail, ce n’était pas tant la rapidité qui comptait dans le cas présent que la régularité de tir. J’avais choisi des balles à tête creuse, sur lesquelles j’avais pratiqué des encoches au canif. Si l’une d’elles atteignait son but, la discussion s’arrêterait là. Mais Delgado avait dû faire de même, naturellement.

Sa main gauche réapparut. Je ne bronchai pas et ma main droite resta immobile.

Il jeta sur la table une photographie en noir et blanc. « Connaissez-vous cet homme, Lucas ?

— Ouais, fis-je d’une voix peu intéressée. J’ai vu son dossier. Johann Siegfried Becker. SD. Et alors ?

— Il n’est plus au Brésil, dit Delgado sans cesser de m’observer.

— Je sais. D’après les rapports d’évaluation du SIS, il était à Berlin en mai dernier. »

Delgado secoua doucement la tête. « Il est à La Havane. » Au bout d’une minute, il reprit : « Vous ne me demandez pas pourquoi ?

— Est-ce que ça a un rapport avec mon travail ici ?

— Pas le moindre. Je veux dire, êtes-vous sûr d’accomplir un quelconque travail ici ? »

Deux garçons traversèrent le jardin en courant. Je les regardai sans perdre Delgado de vue. J’avais fait un pas sur la gauche en entrant, de façon à ne pas présenter mon dos à la porte ouverte. Je n’avais aucune idée du nombre de personnes travaillant pour ou avec Delgado. Peut-être que quelqu’un m’attendait dans une masure abandonnée, armé d’un fusil dont le viseur était déjà calé sur un point que je serais obligé de franchir en regagnant la rue. Eh bien, je ne pouvais rien y faire, hormis ordonner à mes cheveux de ne pas se dresser sur ma tête.

« Becker est ici parce que son réseau brésilien est en voie de perdition, reprit Delgado. Le Hauptsturmführer hésite encore à retourner dans ce merdier. Il a entamé des négociations avec… euh… des représentants locaux afin de leur transmettre des informations, à moins qu’il ne décide de manger à deux râteliers.

— Pourquoi me dites-vous ceci ? »

Delgado se frotta la lèvre inférieure. La sueur coulait sur ses joues et gouttait de son menton. Il faisait une chaleur étouffante dans cette pièce minuscule. « Si je vous dis ceci, Lucas, c’est parce que nous ne tenons pas à ce que vous tombiez sur Herr Becker dans une bodega et décidiez de lui faire sauter la tête ou de le livrer aux autorités locales avant que nous n’ayons conclu nos négociations.

— « Nous » ?

— Moi.

— D’accord. Il y a autre chose ?

— Rien en ce qui me concerne. »

J’allai jusqu’à la porte, sans lui tourner tout à fait le dos.

« Lucas ? » Sa main gauche avait à nouveau disparu sous la table. Comme j’avais regagné l’extérieur, j’avais du mal à le distinguer dans la pénombre. « Désolé pour le gosse. »

Je fis mine de me gratter le dos. « Est-ce que vous savez qui a fait le coup ?

— Bien sûr que non. J’ai entendu parler de l’enterrement et j’en ai déduit le reste. Vous devriez dire à votre pote le plumitif de ne pas recruter des gamins pour jouer aux espions.

— Vous ne savez vraiment pas qui a tué Santiago ? » insistai-je, fixant ses yeux avec attention.

Les lèvres de Delgado esquissèrent un simulacre de sourire. « Il s’appelait Santiago ? »

 

La finca semblait déserte à mon retour. Puis je me rappelai que les domestiques étaient en congé ce soir-là et que Winston Guest et Patchi Ibarlucia avaient projeté d’emmener les garçons dîner à El Pacifico.

Je frappai à la porte sans recevoir de réponse, et entrai dans la maison.

Hemingway se trouvait là où je l’avais laissé, assis dans son grotesque fauteuil à fleurs au centre de la pièce, avec à sa gauche la table chargée de boissons, mais tous les chats avaient disparu. Sur ses cuisses, Boissy d’Anglas avait été remplacé par le Mannlicher .256, glissé entre ses pieds, le canon juste sous son menton.

La crosse était calée sur le tapis en crin. Hemingway avait les pieds nus, et son gros orteil reposait sur la détente.

« Vous arrivez juste à temps, Joe, dit-il. Je vous attendais. Je veux vous montrer quelque chose d’important. »

Les forbans de Cuba
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